Les partenaires sociaux ont rendez-vous ce vendredi pour redéfinir les règles de l'assurance chômage. Au menu, notamment: la dégressivité des allocations, la durée et montant des cotisation, le cumul emploi-chômage et les droits rechargeables... Une négociation épineuse qui constitue l'un des grands rendez-vous social de 2014.
A peine bouclée la négociation sur la formation professionnelle, le patronat (Medef, CGPME, UPA) et les syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) ont rendez-vous ce vendredi 17 janvier pour renégocier la convention fixant les conditions d'indemnisation des chômeurs et les contributions des employeurs et des salariés finançant le régime. Ils doivent trouver un accord d'ici fin mars.
1. Un contexte économique morose...
Malgré l'engagement de François Hollande d'inverser la courbe du chômage avant la fin 2013, la reprise se fait toujours attendre et le chômage reste à un niveau record. Fin novembre, 3,29 millions de demandeurs d'emploi sans activité pointaient encore à Pôle emploi, un chiffre proche du record historique.
>> Infographie: L'évolution de la courbe du chômage sous François Hollande
En incluant les chômeurs en activité réduite, plus de 5 millions de personnes étaient inscrites fin novembre à Pôle emploi. Seuls 2,24 millions de demandeurs d'emploi, soit moins de la moitié des inscrits à Pôle emploi, étaient indemnisés par l'assurance chômage. Les autres n'ont soit pas acquis assez de droits, soit n'ont plus droit à l'assurance-chômage.
La situation n'est pas près de s'améliorer : la croissance peinant à décoller (elle devrait atteindre 0,9% cette année après +0,1% en 2013), l'Unedic (l'organisme paritaire qui gère l'assurance chômage) anticipe encore 63.200 demandeurs d'emploi sans activité supplémentaires cette année.
... et des contraintes financières fortes
Conséquence de ce nombre record de chômeurs : les finances de l'assurance chômage sont dans le rouge. Le déficit pour 2013 atteindra 4 milliards d'euros et la dette 17,8 milliards, selon les dernières prévisions de l'Unedic publiées le 14 janvier. Fin 2014, à réglementation inchangée, on s'acheminerait vers un déficit de 4,3 milliards et une dette de 22,1 milliards, un record. Les marges de manoeuvre de négociations sont donc très réduites.
Le Medef veut "stabiliser" le déficit dans les trois prochaines années et réduire la dette. "Nous avons 18 milliards de dette et si nous ne faisons rien, nous risquons d'arriver à 40 milliards", a encore répété son patron, Pierre Gattaz, mercredi lors de sa conférence de presse mensuelle. Les syndicats, eux, font valoir que ce déficit est conjoncturel, le chômage massif pesant sur les recettes et gonflant les dépenses. Ils attendent des jours meilleurs.
2. Rendre dégressives les allocations?
La CGPME et le Medef voudraient que le système d'indemnisation "incite" plus les chômeurs à reprendre un emploi. Il y a quelques mois, Pierre Gattaz avait remis sur la table la question de la dégressivité des allocations dans le temps, y voyant une source d'économies pour l'Unedic. Les syndicats refusent eux catégoriquement toute diminution des droits des chômeurs, jugeant que l'Unedic doit plus que jamais jouer son "rôle d'amortisseur social". François Hollande leur a donné gain de cause. Mardi, lors de la troisième grande conférence de presse de son quinquennat, le chef de l'Etat s'est prononcé contre une réduction des droits des chômeurs.
Le montant de l'allocation représente en moyenne 72% de l'ancien salaire net. Pour un salarié au Smic, elle grimpe à 78% (886 euros net d'allocation). Pour un chômeur qui gagnait 3.000 euros avant la perte de son emploi, l'indemnité sera proportionnellement moindre (65% de son ancien revenu). Fin 2012, 95% des demandeurs d'emploi touchaient moins de 2.070 euros mensuels d'indemnité, et la moitié moins de 1.020 euros. L'indemnité maximale (6.270 euros) était perçue par seulement 1.400 allocataires.
3. Allonger ou réduire la durée d'assurance?
Actuellement, la durée de l'indemnisation est régie par le principe d'"un jour cotisé, un jour indemnisé". Elle ne peut toutefois pas excéder 2 ans (3 pour les chômeurs de plus de 50 ans). Pour être allocataire, il faut avoir travaillé au minimum 4 mois au cours des 28 qui précèdent la perte d'emploi (36 pour les plus de 50 ans). Fin 2012, 3,16 millions de demandeurs d'emploi étaient ainsi "couverts" par l'assurance chômage, c'est-à-dire indemnisables. Mais un quart de ces chômeurs ne percevait pas d'allocation, notamment car ils avaient travaillé au cours du mois, à temps partiel ou en contrat court, au-delà des seuils autorisant le cumul salaire-indemnité chômage. Et seuls 40% des demandeurs d'emploi sont en réalité éligibles à une durée d'indemnisation de deux ans.
La CFDT a prévenu qu'elle n'accepterait aucune remise en cause de la règle actuelle. La CGT va plus loin: elle propose d'augmenter la durée maximale d'indemnisation de 24 à 30 mois et jusqu'à 60 mois pour les plus de 50 ans et d'ouvrir les droits à l'assurance chômage après deux mois de travail. Cette proposition fait sens: "Idéalement, la durée optimale des droits doit être proche de la durée moyenne du chômage", selon une note publiée cette semaine par l'Institut de l'entreprise. "C'est pourquoi les périodes de ralentissement économique justifieraient l'allongement de la durée potentielle des droits, et inversement", explique l'auteur, Bruno Coquet. Fin novembre, l'ancienneté moyenne des chômeurs inscrits à Pôle emploi est de 508 jours, soit 16 mois.
4. Baisser ou augmenter les cotisations?
Face à la flambée des contrats précaires, les syndicats voudraient augmenter la majoration de la contribution patronale pour les CDD de courte durée entrée en vigueur cet été, voire l'étendre à l'intérim. Près de quatre chômeurs indemnisés sur dix le sont après une fin de CDD. Mais le Medef a posé comme "condition sine qua non" que l'on n'augmente pas les cotisations salariales qui "pèsent sur le pouvoir d'achat", ni les cotisations patronales qui "pèsent sur la compétitivité" des entreprises. Au contraire, le patronat réclame une baisse des cotisations. Même si elle a peu de chances de voir le jour vu l'état des finances de l'Unedic, cette baisse des cotisations serait justifiée.
En France, 30% de l'emploi salarié - les fonctionnaires - ne contribue pas au financement de l'assurance chômage. La masse salariale des secteurs marchands constitue la seule assiette des ressources. Résultat, "l'assurance chômage française est l'une des plus chères au monde [6,4% du salaire contre 3% en Allemagne, NDLR], relève la note de l'Institut de l'entreprise : elle coûte un mois de salaire net par an à chaque salarié du privé". Il peut sembler logique que les fonctionnaires, qui ont la garantie de l'emploi, ne cotisent pas pour le chômage. Portant, la France est l'un des rares pays au monde où l'Etat ne participe pas au financement de l'assurance chômage.
5. Simplifier les règles du cumul emploi-chômage?
Les partenaires sociaux devraient s'efforcer de simplifier les règles d'indemnisation, parfois illisibles, notamment pour les demandeurs d'emploi cumulant petits boulots et allocation chômage. Le nombre d'allocataires de l'assurance chômage exerçant une activité réduite a plus que doublé en quinze ans pour atteindre 1,1 million de personnes en 2011, soit 40% des allocataires, selon une étude de l'Unédic (l'organisme paritaire qui gère l'assurance chômage) publiée ce jeudi 17 octobre.
>> En savoir plus : Gros plan sur les chômeurs en activité réduite
Destiné à encourager les chômeurs à reprendre une petite activité, le cumul salaire-allocation est autorisé pendant 15 mois selon des règles strictes (ne pas avoir travaillé plus de 110 heures par mois et ne pas avoir touché plus de 70% du salaire antérieur). Le système de calcul et de paiement est tellement complexe, basé sur des estimations provisoires par Pôle emploi, qu'il génère d'importants "trop-perçus". En 2012 près de 812 millions d'euros avaient été versés à tort à des demandeurs d'emploi.
6. Instaurer des droits rechargeables?
Les partenaires sociaux vont devoir mettre en place le dispositif des "droits rechargeables" inscrit dans l'accord national interprofessionnel (ANI) sur l'emploi signé en janvier 2013. Ces droits doivent permettre aux chômeurs qui retrouvent un emploi sans avoir épuisé la totalité de leurs droits de les conserver, au moins en partie, et de les cumuler avec leurs nouveaux droits s'ils retombent au chômage.
Ce dispositif "simplifierait radicalement la réglementation et les incitations données aux chômeurs", explique Bruno Coquet. "Il s'agirait ni plus ni moins d'un compte individuel unique fonctionnant de manière intuitive: comme sur un compte d'épargne, tout ce qui n'est pas consommé reste disponible pour la sécurité future du chômeur, et tous les droits acquis lors de nouvelles périodes de travail s'y ajoutent". Selon l'expert auprès de l'Institut de l'entreprise, ce dispositif vertueux n'entraînera aucun surcoût pour l'assurance-chômage.
7. Les dossiers cachés sous le tapis: intermittents du spectacle et intérimaires
C'est le dossier explosif de l'assurance chômage: le régime spécifique des intermittents du spectacle. La Cour des comptes, qui l'accuse régulièrement d'être trop coûteux, demande à ce qu'il soit réformé. Même s'il est officiellement inscrit au menu des négociations de 2014, il y a peu de chances que les partenaires sociaux s'y attaquent. Car tout le monde a en tête le conflit des intermittents pendant l'été 2003, très coûteux politiquement. A l'approche des élections municipales, le gouvernement a réaffirmé son attachement à ce système.
Pourtant, une réforme apparaît plus que nécessaire. Selon la Cour des comptes, le régime des intermittents du spectacle creuse le déficit de l'assurance-chômage d'un milliard d'euros chaque année au profit de seulement 3% des demandeurs d'emploi. Le régime spécifique des intérimaires est aussi sur la sellette. Il affiche également un déficit chronique proche de 2 milliards d'euros par an, et ses règles favorisent, selon la Cour, le dualisme du marché du travail entre CDI et précaires. Ces deux régimes spéciaux ont contribué à l'endettement de l'assurance chômage à hauteur de 40 milliards d'euros en vingt ans, alors que le régime général de droit commun a pour sa part accumulé une trésorerie de 24 milliards.